Accueil : Actualité : Nationale : Adieu Ahmed Belaïd !
le 06 Octobre, 2007 01:58:00 602 lecture(s)
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Notre confrère et aîné dans la profession, Ahmed Belaid, s'est éteint jeudi. L'hommage de Zoubir Souissi qui l'a bien connu.
Par Zoubir Souissi
Chez les Indiens d’Amérique du Nord, lorsque le sachem (le chef de la tribu) sent son heure venir, il se retire dans un lieu isolé, en haute montagne en général, pour s’en aller mourir loin de tous. C’est un peu ce qui est arrivé à notre ami et grand frère plus que confrère, Belaïd Ahmed, qui est parti dans la discrétion intégrale, tout doucement sans faire de bruit.
J’ai eu l’incommensurable privilège de le côtoyer au jour le jour et celui d’être un de ses collaborateurs directs des années durant et cela m’avait permis d’apprécier l’homme et le professionnel qui a aidé beaucoup d’entre nous à assimiler les rudiments de la pratique journalistique, la vraie, celle qui met en relief les valeurs morales et intellectuelles. Car Belaïd — c’est ainsi qu’il exigeait de se faire appeler, refusant que l’on utilise son prénom —, aurait pu être un de ces innombrables courtisans et lèche-bottes qui se bousculent dans les méandres de notre profession, d’autant qu’à l’aube de sa carrière, il avait connu les honneurs et les arcanes de la hiérarchie. Il n’en fut rien, tout simplement parce que Belaïd était un esprit libre qui cultivait les grands principes d’honnêteté et de probité. Après avoir dirigé le quotidien An-Nasret les déboires qu’il y connut et qui ont été remarquablement évoqués par Boukhalfa Amazit dans l’hommage qu’il lui a rendu, BelaÏd se retrouve au quotidien national El-Moudjahid, dont il prit la rédaction en chef au début des années soixante-dix. C’est à cette époque que nous nous sommes connus. Je me souviens de ces moments de plaisir extrême quasi-quotidiens qu’il avait chaque soir après le bouclage : «Eh bien, nous disait-il à Maâmar Farah et à moi, nous en avons fait un de plus !», en parlant de son «bébé» du jour, le journal qu’il avait fait fabriquer. Plus tard et au gré des vicissitudes de la politique politicienne, Belaïd fut mis au placard. Par trop électron libre, il ne pouvait pas convenir à un système basé sur la flagornerie et les éloges des carriéristes et des faux culs en tous genres. Je me remémore encore (c’est d’actualité), le jour où nous avions reçu une information sur «1 200 tonnes de pommes de terre jetées dans une décharge publique», à un moment où nous vivions une terrible pénurie de pommes de terre. Un journaliste et un photographe furent envoyés sur place et l’enquête corrobora l’information. A la réunion du menu, Belaïd demanda l’avis des responsables de la rédaction sur l’opportunité de publier ce qui était considéré alors comme un brûlot. Il ne faut pas oublier que nous étions en plein régime dictatorial où tous les écrits, tous les mots étaient minutieusement soupesés. Devant certains atermoiements, Belaïd avait tranché. Non seulement, on donnera l’information, mais elle fera l’ouverture de la une. Ce qui fut fait. Naturellement, le ciel nous tomba sur la tête le lendemain. Mais Belaïd tint bon, jusqu’au jour où on le vira. Remercié, Il reprit courageusement son porte-plume et se lança dans le bain de l’information économique et la bataille du pétrole avec un enthousiasme et un allant de jeune débutant. Maintenant qu’il est parti, nous apprécions à leur juste valeur, des hommes de cette trempe. Les dernières années de sa vie furent les plus décevantes pour lui. Il lui fut difficile de s’adapter à la nouvelle donne instaurée par la circulaire Hamrouche. Le bulletin économique qu’il créa alors ne connut pas le succès qu’il aurait dû avoir car la conjoncture n’était pas à l’économie mais à la violence. Après avoir tenté de transformer son bulletin en hebdomadaire spécialisé, il dut se rendre à l’évidence et fermer boutique. Les dernières années de sa vie furent marquées par la maladie, un vilain cancer de la gorge, auquel il fit front avec un immense courage. Après avoir fait un pied de nez à la mort pendant plusieurs années, celle-ci a fini par avoir le dernier mot et l’a emporté. Il s’était volontairement retiré du circuit comme pour ne pas gêner les nombreux amis qu’il compte dans le métier. Fier jusqu’au bout des ongles, il n’aurait jamais accepté d’être un boulet encombrant pour ceux qu’il aimait. Il est mort de la même façon, loin du bruit et de la fureur de ces salles de rédaction qu’il aimait par-dessus tout. Beaucoup de ses amis, dont nous-mêmes regretteront amèrement de ne pas s’être inquiété de son long, trop long silence. Repose en paix Belaïd. Ta compétence, ta générosité et ton humour caustique et décapant vont nous manquer terriblement.Z. S.
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